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Parler du handicap physique en danse

(RETOUR SUR LE PROJET PAR SARAH-ÈVE GRANT)

 

La question qui a été la plus présente pendant et suite à mon processus de création avec les interprètes de Corpuscule Danse dans le cadre du projet Quadriptyque est la suivante :

Est-ce que créer en danse contemporaine avec des corps atypiques revient toujours à parler du handicap ?

Voici où j’en suis avec cette question, suite à mon processus avec Corpuscule danse.

 

L’humain est pour moi le medium principal en danse. L’humain en mouvement dans sa complexité physique, mais également émotive et psychologique. Si l’on résume ma démarche chorégraphique, on pourrait dire qu’elle est humaniste et qu’elle s’interroge sur les rapports humains à travers la scène et la danse. L’émotivité et l’empathie sont des outils importants pour moi en création. Lors du processus avec Quadriptyque, ces outils ont été confrontés à la réalité d’humain vivant avec des handicaps physiques. Je dirais même plus sincèrement que j’ai été confrontée à mes limitations empathiques face à la réalité d’une personne vivant avec un handicap physique. J’étais loin de pouvoir me mettre à leur place pour arriver à comprendre leur réalité physique et ce qu’elle signifie dans leur art et leur quotidien.

Je me suis donc attachée à ce que nous avions de commun et non ce qui nous différenciait. Nous avons beaucoup discuté, surtout sur la fraternité et l'entraide.  J’ai aussi créé pour que chacune soit responsable de son propre corps, mais aussi de celui de l’autre. Nous avons donc formé un genre de clan de femmes qui interagissent entre elles de manière égalitaire. J’ai voulu créer un lieu scénique où avoir un handicap n’était pas un critère de sélection naturelle.

Dans un monde formaté pour les plus forts, en apparence parfaits, bref ceux qui n’ont pas d’handicap, j’ai eu envie de parler de ce rapport à la survie au sens large. Qui sont les plus forts ? Qui déciderons-nous de sauver et pourquoi ? Parler de la survie était pour moi une façon d’aborder des sujets qui dans l’adversité nous sont tous familiers. C’est donc de là que vient le titre de la pièce Souvent, je pense à la fin du monde . La fin de la planète, mais aussi la fin de notre monde personnel. Un sujet assez extrême, qui nous a permis de nous concentrer sur des enjeux communs à tous les êtres vivants. De là, il était possible de distinguer nos différents rapports à la fin en général et de parler de la résilience. Bref, je ne sais pas si je réponds à ma question de départ ici, mais ce que je sais c’est que je n’aurais jamais créé cette pièce avec des danseurs « normaux ». Je suis persuadée qu’il s’agit d’un processus qui existe uniquement parce qu’il est porté par des interprètes aux corps atypiques.

 

Pourquoi le corps avec handicap nous touche

Je dirais que le corps avec handicap touche parce qu’il nous déstabilise. Se confronter à un être différent de nous, nous fait perdre nos repères et nous interroge surtout sur nos propres réactions face à la différence. Je me suis beaucoup questionnée pendant le processus sur mon rapport à la normalité et sur comment notre société était incapable d’intégrer convenablement la différence. Je n’ai pas voulu systématiquement en parler dans la chorégraphie, car je n’avais pas de réponse à fournir au spectateur. J’ai simplement voulu que dans leur différence notable, les interprètes soient le plus possible, physiquement et mentalement, égalitaires. Pour moi cette dichotomie est inspirante ; comment être normale, mais différente à la fois. Je ne voulais pas parler de leur différence, mais en même temps elle était là et nous en parlions beaucoup. Nous avons discuté de ce qui se passe dans leur corps, des limitations et des possibilités. Bref, la pièce ne parle pas précisément de la différence, mais elle l’utilise pour mettre en lumière ce qui humainement nous lie les uns aux autres.

 

La différence comme outil créatif

Créer avec des corps atypiques en danse est un choix esthétique, une prise de position. Je veux que les gens comprennent que le corps est l’outil de la danse et qu’ici, en danse intégrée, les sujets ont des corps différents et que c’est en cela que réside la force créatrice. Pour l’instant, j’arrive à ce constat face à mon processus avec Quadrityque. En danse intégrée, le handicap est à la fois le sujet et l’outil. Créer en danse intégrée revient pour ma part à parler du handicap, mais surtout à l’utiliser d’abord comme une force créatrice, pour arriver à voir le corps atypique comme un générateur d'idées.