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FÉMINITÉ, ÉGALITÉ, SOLIDARITÉ

Retour sur la recherche Quadriptyque #3 de Sarah-Ève Grant

Cherchant à résumer l’impact percutant qu’a produit sur moi la pièce de Sarah-Ève Grant créée à l’issue de deux semaines de résidence de recherche et création au CAM et à la MC du Plateau, ces trois mots se sont imposés à moi : Féminité, Égalité, Solidarité. Une devise qui me semble avoir guidé la jeune chorégraphe dans la conception, l’orientation et la construction de sa pièce.

Féminité

Une pièce féminine… Depuis que Sarah-Ève Grant a pris sa place de chorégraphe de la relève en 2010, elle se concentre sur le fait de raconter une histoire humaine au travers d’un portrait intimiste, au travers d’une danse subtile et narrative, une mise en scène et en danse de l’intériorité. Ainsi crée-t-elle une empathie aphone entre le spectateur et les interprètes dans une forme de communion subjective et émotionnelle qui renvoie le spectateur à sa propre psychologie, sa propre émotivité, ses propres failles. Sur un fil ténu et subtil, elle tisse une reconnaissance au travers d’un partage de valeurs humaines, sinon humanistes.

Dans cette dernière pièce, elle le fait de nouveau. En choisissant un thème brûlant d’universalité – la fin du monde, de quel monde parlons-nous et quelle fin redoutons-nous ? Sur ce thème sensible qui de toutes parts nous assaille, l’attention est portée sur la sauvegarde, l’entraide, les armes dynamiques de l’humour et la résistance active. Cette vision du monde me semble féminine, au-delà du fait qu’elle soit portée par une chorégraphe et des danseuses. Méditer sur son intériorité, trouver des solutions, rester à l’écoute d’autrui, aider l’autre quitte à le porter sur son dos, rechercher des abris, se faire guerrière avec force et autodérision, j’y ai clairement vu et vécu intérieurement des valeurs féminines. Une préoccupation face au monde sauvage, égoïste et en danger. Je parle ici du choix du type de réponse plus intérieure, compassionnelle, protectrice sinon maternelle qui ressort délibérément de la pièce.

Égalité

C’est la première pièce de danse intégrée de Sarah-Ève Grant qui a tout de suite adhéré à la proposition de France Geoffroy de participer aux laboratoires du projet Quadriptyque. Cela suppose qu’elle a réfléchi à ce que signifiait le handicap physique invalidant en danse.  Elle s'en explique elle-même et l'analyse sur notre plateforme.  Sa vision est délibérément égalitaire. Traiter toutes les interprètes avec une totale égalité, sinon une identité égalitaire. Ne tenant pas compte du handicap physique, très différents, de Roya Hosini et de Maxime D. Pomerleau, elle abolit l’idée d’une gestuelle, d’une expression, de jeu du corps lui-même, de rythme ou de l’intensité des parties dansées, souvent à l’unisson, qui seraient différente selon le handicap.

Bien entendu, les différences et les spécificités n’en sont que plus flagrantes parce que la chorégraphe demande à chacune de faire la même chose, dire les mêmes mots, avoir le même positionnement, et de l’avoir chacune avec sa propre singularité. La vision qui s’en dégage est celle d’une humanité dont chaque membre est égal mais différent. Et c’est aussi de cette vision-là que naît le miroir de connexion, d’empathie et de mimétisme avec le spectateur. La question n’est jamais : « Tel corps peut-il faire ou ne pas faire tel geste ? », mais plutôt : « Voyons comment tel corps s’exprime avec sa spécificité ». L’intégration est parfaite et absolue parce qu’elle ne se pose pas comme critère. En soulignant la spécificité de chacune, l’intégration existe de fait. Cette égalité opère de la même façon entre spectateurs avec ou sans handicap, et milite pour un monde où toutes et tous, handicapés ou non, courent le même risque, celui de la fin.

Solidarité

Un monde solidaire. Féminin, égalitaire parce qu’il est solidaire. Aucun solo dans la pièce de Sarah-Ève Grant, mais au contraire, le choix affirmé d’une mise en relation permanente, remarquablement donnée à voir à travers l’engagement fort et la constante complicité entre les trois interprètes, entre elles et la chorégraphe qui vient de temps en temps parler au micro, et aussi entre elles et les spectateurs. Toutes engagées l’une envers l’autre en permanence, et toutes envers leur attention à la fois individuelle et collective envers le monde. Un monde commun, le leur, le nôtre. Et je me suis dit que si la fin du monde arrivait bientôt, elle serait plus douce dans la solidarité empathique et respectueuse que proposent ici Sarah-Ève Grant, Roya Hosini, Maxime D. Pomerleau et Joannie Douville.