BILLET #3 - 21.02.17
Recherche avec Benoit Lachambre, Conseil des arts de Montréal
Big Bang
Toute création surgit du néant.
Toute création serait donc un Big Bang à chaque fois renouvelé, une œuvre surgie du chaos indistinct ? Cela semble vrai, à part que, comme lors du Big Bang, pour le peu que j’en sache, toutes les conditions sont réunies avant le surgissement. Et ce n’est pas parce qu’on ne voit rien avant la manifestation que rien n’existe. Les conditions de fait sont réunies. Forcément. Et puis, elles surgissent. À la faveur d’une rencontre, d’une union entre un catalyseur et un concentré – ou entre une allumette et un paquet de poudre. D’un coup, ÇA a lieu. ÇA existe. Le vivre soi-même comme créateur ou assister à la genèse de la création d’autrui, est alors toujours une sorte de Big Bang. Une forme de miracle.
Le miracle de la création a eu lieu aujourd’hui, sous mes yeux ébaubis, dans la salle de répétition du Conseil des Arts de Montréal où débutait le deuxième processus de recherche et création de Quadriptyque avec la danseuse France Geoffroy et le chorégraphe Benoît Lachambre.
France et Benoît. Ils ne s’étaient jamais approchés, jamais touchés, jamais explorés. Et, instantanément, ils l’ont fait, avec une force et une qualité vibratoire immédiates, littéralement évidente. D’une évidence troublante même si elle demeure interrogeante.
Bien sûr, un tel miracle s’appuie sur le fait qu’ils sont tous deux de grands danseurs, qu’ils possèdent en eux leur longue expérience et leur long parcours. Le miracle de la création a beau être à chaque fois un Big Bang, il s’appuie sur une connaissance de soi et une connaissance de l’autre, cet autre toujours autre et dont la différence est essentielle, surtout si cet autre est de surcroît handicapé. Cela s’appelle le partage. L’écoute. Le rêve éveillé et l’État somatique, si chers à Benoît Lachambre. Cela s’appelle aussi la force énergétique, l’expressivité, la grande connaissance, le respect de ses propres limites et de celles du corps de l’autre, toutes notions que France comme Benoît explorent de longue haleine.
Alors, quand je suis revenue dans le studio que j’avais quitté une demi-heure auparavant, je les ai vu comme s’ils avaient toujours dansé ensemble et qu’ils renouvelaient un parfait unisson, alors qu’ils venaient très exactement de l’inventer, de se découvrir, de s’entendre, d’entrer dans le miracle. Je suis restée au sol pendant une autre heure encore, à les regarder improviser, à vivre grâce à eux un état de corps de spectateur emprunt de fluidité et de communion.
A priori, Benoît Lachambre était censé demeurer dans son rôle de chorégraphe. C’est-à-dire rester à l’extérieur d’un mouvement qu’il aurait suscité ou fait surgir chez la danseuse. Mais il a préféré entrer dedans. Avec son propre corps. Parce que sa vision de la danse le porte à expérimenter le processus au travers de son propre corps. Va-t-il pour autant conserver ce positionnement délibérément engagé, intérieur ? Ou bien va-t-il danser dans sa propre pièce ? L’essentiel est que le miracle a eu lieu. Aujourd’hui. Vraiment.