Home /

 

Retour critique sur le processus créatif de Benoît Lachambre

La loi du soma

 

Assister au travail de Benoît Lachambre, principalement en duo avec France Geoffroy mais aussi avec Roya Hossini et Georges-Nicolas Tremblay, a été assister à une fulgurance. Travail en forme de tâtonnements, avec d’autant moins d’idées préconçues que Benoît a littéralement plongé dans la proposition de France avec l’allié majeur qu’il a élu comme guide en matière de mise en mouvement : le corps somatique.

Benoît Lachambre a toujours considéré la danse comme un outil d’intégration des liens avec soi, avec autrui, avec l’environnement sinon avec l’univers. Cette première expérience en danse intégrée semble avoir confirmé sa vision d’emblée intégrante, liante, du mouvement des corps dans l’espace, pareils à des constellations dans une galaxie à laquelle elles demeurent mystérieusement, invisiblement, mais harmonieusement et puissamment connectées.

Quand on lui parle de danse intégrée, lui préfère parler d’intégrité. Intégrité de la connexion somatique à l’autre, quel que soit le corps, par-delà les différences de corporéité de tel ou tel interprète. Ainsi voit-il un artiste avec handicap comme un artiste avant tout, et même comme un humain avant que d’être un artiste. Si en groupe, il a surtout travaillé sur la connexion et la fluidité, c’est véritablement dans le travail en duo avec France Geoffroy que la recherche a trouvé son point d’orgue.

J’ai vu naître une dyade plus qu’un duo. Une dyade quasi matricielle, surgie spontanément, instinctivement, par la force flagrante et magnétique de la rencontre somatique qui s’est établie entre eux dès les premières minutes. Benoît Lachambre, avec sa longue expérience, parle d’alchimie rare et puissante. Dans d’autres domaines, on parlerait de coup de foudre car le coup de foudre est bien une affaire somatique, forcément. C’est à cela que j’ai eu l’impression d’assister entre France et Benoît : un coup de foudre somatique. Une connexion fulgurante.

Le lien s’est établi dans l’extrême proximité. Main dans la main, tête contre tête, joue contre joue, nez contre nez. Et par la voix. Beaucoup. La voix, le souffle, les râles, les cris, les sons de bêtes, de joie, de peur, de souffrance, d’acceptation ou de refus, de je t’aime moi non plus mais je ne te lâcherai pas… Une rencontre vraie, intégrée et intègre, que le spectateur suit avec trouble, presque avec voyeurisme, vivant par mimétisme, parce qu’en tant qu’humain il reconnaît, dans sa chair autant que dans son propre système vibratoire, la plus ancienne des expériences humaines. Le lien au vivant, libérateur, originel.

Sur ce point, le rôle de la caméra qui circule, guidée par Marie-Hélène Bellavance entre, autour, avec, loin ou au plus près des interprètes, est essentiel. En circulant, la caméra tisse des liens somatiques entre les interprètes, mais aussi entre le spectateur et les interprètes. La caméra est non seulement un élément à part entière de la chorégraphie mais elle en constitue le liant. Son regard devient actif. Le film qui se construit devient somatique lui aussi.

Bouleversante et troublante expérience que celle de ces deux semaines de laboratoire de recherche de Benoît Lachambre pour Quadriptyque. Une épiphanie. Conformément à la loi du soma.