Premier processus de recherche et création - Deborah Dunn -
INTÉGRER LES DANSEURS NON-HANDICAPÉS
Dans toutes ses pièces, Deborah Dunn s’est intéressée à l’humain par-delà le danseur. Et sans doute aussi, plus à la portée d’un geste, l’induction de sa théâtralité qu’à la perfection d’une gestuelle ou d’une posture. Dans ses pièces, les personnages sont forts, exubérants, exacerbés, pour traduire les méandres inaccessibles de la nature humaine. Elle s’est engagée dans le projet Quadriptyque avec cette même vision : ce désir de montrer l’humain en mouvement, le danseur en soi, sans se demander si celui-ci avait ou non un handicap. Elle semble même ne pas y avoir pensé.
Casablanca. Mythique film avec Ingrid Bergman et Humphrey Bogart. Deborah Dunn n’a pas hésité à confier à France le rôle de Lisa, référence atemporelle de la beauté et de la séduction dans les annales du cinéma mondial. De fait, France possède la présence, la prestance, le maintien et l’impact d’une Lisa, au-delà du fauteuil roulant dans lequel elle se déplace. Thomas Casey n’a pour sa part rien à envier à l’aura que dégage Bogart dans le film. Son long parcours professionnel de danseur éclectique et son habitude des impératifs de la danse intégrée, notamment avec France Geoffroy, en font un partenaire subtil, inventif, émouvant. Les explorations chorégraphiques de la première semaine ont été centrées sur le couple qu’ils forment, ponctuées par la musique et les dialogues de la bande originale du film. Tout comme dans le film, leur couple demeure le noyau fort de la pièce. Même lorsque Maxime D. Pomerleau, Georges-Nicolas Tremblay puis Joannie Douville le rejoignent à la fin de la première semaine de recherche.
Du narratif à l’abstrait
France Geoffroy et Maxime D. Pomerleau sont de sacrées danseuses. Rapides, vives, souples, à l’affût des gestes et situations induits par Deborah Dunn, elles maîtrisent leur handicap respectif, non pas au point de le faire oublier – il n’en est pas question –, mais en démontrant constamment comment elles font avec, tout en imposant leur singularité au travers de la maîtrise de leurs différences de possibilités, de caractères, de corporéité aussi, aussi distinctes que le sont leurs personnalités.
Deborah Dunn tout au long du processus frappe par la qualité de sa présence et de sa réactivité. Elle émet les intentions, observe la façon dont les interprètes les incarnent puis réagit aussitôt, vive, réactive, avec acuité et humour. Durant la première semaine, ce processus de proposition/improvisation/restructuration/réinterprétation fait progresser le travail de création très rapidement. Le résultat est plutôt narratif, très proche de l’histoire du film et de ses personnages.
Lors de la deuxième semaine, changement dans l’intention chorégraphique que Deborah Dunn fait sensiblement évoluer vers l’abstraction. Le couple formé par France et Thomas demeure central. Cependant, les cinq interprètes endossent tour à tour des rôles différents. La vision de Deborah Dunn s’éloigne progressivement du scénario du film.
La question de l’intégration
Joannie Douville et Georges-Nicolas Tremblay s’intègrent lors de cette seconde phase. Mais, sans s’intégrer véritablement. Comme si leurs indéniables qualités de danseurs, leur technique et leur inventivité parfaites au cours d’une carrière longue et éclectique, leur engagement, aussi, dans la danse intégrée comme danseurs sans handicap, ne suffisait pas à leur permettre de trouver véritablement leur place. Comme si Deborah Dunn, dans sa volonté première de ne pas tenir compte du handicap, de ne pas en faire un élément déterminant de son processus de création, laissait presque en périphérie ces danseurs de carrière sans handicap.
On pourrait penser d’emblée que la danse intégrée consiste à trouver une façon d’intégrer les danseurs handicapés au sein de danseurs non handicapés. Force est de constater ici que l’enjeu et la difficulté peuvent précisément venir de la situation inverse.