BILLET # 8 - 15.06.17
Parc du Mont-Royal, Montréal
Cache-cache avec les arbres…
Après une semaine de résidence de recherche et création dans la boîte noire de la MC Frontenac pour ce dernier laboratoire Quadriptyque, Lucie Grégoire convie ses deux interprètes, Marie-Hélène Bellavance et Georges-Nicolas Tremblay sur les hauteurs du Mont-Royal. La nature, c’est son élément, aussi. Une recherche avec elle ne pouvait pas faire abstraction de ce rapport bien personnel au paysage intérieur et extérieur, l’un de l’autre en écho, l’un dans l’autre confondus.
Là de grands arbres matures, aux lourdes et grandes branches projettent leur pamoison de feuilles très vertes. Peu de soleil parvient jusqu’ici, c’est la pénombre, l’humidité, la fraîcheur d’un quasi sous-bois. Il faut marcher pour s’y rendre, et le mouvement sera perpétuel, tout au long du pas de deux qui se prépare là. Un homme passe avec son chien, regarde ces danseurs et cette chorégraphe qui eux restent concentrés, ne doivent pas se laisser distraire. Marie-Hélène et Georges-Nicolas restent attentifs, disponibles aux moindres nuances de cet environnement mouvant. Mouvant comme la vie. La danse c’est le mouvement perpétuel, la précarité perpétuelle, l’attention permanente à l’autre en écho à soi. Parce que la nature est souveraine, la danse doit faire avec, et non l’inverse.
Marie-Hélène semble plus instable sur le sol inégal, incertain, jonché de branches, de souches, de pierres, elle doit adapter sa fragilité aux aspérités de cette réalité brute. Pas question ici d’enlever ses jambes, elle en a bien besoin, dans la verticalité du jeu. La relation qui se noue alors entre Georges-Nicolas et elle devient très différente que ce qu'elle fut sur la scène du théâtre, la semaine précédente. Faite de verticalité, donc. Et Georges-Nicolas, tellement à l’écoute, attentif à la fragilité de Marie-Hélène sur ce sol accidenté, finit par se cogner, lui, se prendre les pieds dans une branche, une souche, une pierre… Ils m’apparaissent d’un coup beaucoup plus à égalité comme si l’environnement naturel avait gommé leurs différences, leurs inégalités physiques. Un homme, une femme, un terrain cabossé, presque dangereux… une relation affective, faite de rapprochements, d’éloignements, de tensions et de fusions, de pertes et de retrouvailles.
Je suis émue. Je me souviens que mes enfants et moi avons si souvent patiné sur ce lac des Castors en hiver, et fait du pédalo quand il y en avait, marché dans les allées, passé des heures à jouer dans les jeux. Ils étaient si petits alors, et moi bien plus agile. Infatigable. Je serai grand-mère bientôt, je reviendrai sur ce lac, dans ces jeux, sur cette pelouse, je rejouerai à nouveau à cache-cache dans les arbres. C’est la danse du temps. En un éclair, en regardant Lucie, Marie-Hélène et Georges-Nicolas au milieu de la nature sereine, j’ai perçu le temps qui dansait dans l’espace, au rythme du vent. Et j’ai souri.