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Cartographie sensible

(par Katya Montaignac)

 

À l’ère de l’inclusion et de la diversité, la pérennité de canons esthétiques sur nos scènes contemporaines me confronte à une idéologie et un imaginaire du corps dansant encore largement dominants dans notre société. Je profite de cette première chronique sur la plateforme du projet Quadriptyque pour revenir sur quelques spectacles qui ont teinté mon regard sur la danse en m’offrant des modèles pluriels et décalés.

Démystification

En 1994, je découvrais Outside In, une vidéo-danse chorégraphiée par Victoria Marks et réalisée par Margaret Williams pour CandoCo Danse Company, une compagnie britannique composée de danseurs avec et sans handicap.

Je me souviens avoir été impressionnée par le ludisme de la partition et l’interchangeabilité des contacts entre les interprètes. Dans cette œuvre, chaque danseur fait partie intégrante d’une microsociété bienveillante et je ne distingue pas forcément qui est handicapé ou non. À travers le cadrage de la caméra, les danseurs se singularisent davantage par leur personnalité.

Ce film a démystifié à mes yeux l’image et la représentation des personnes handicapées, notamment par la présence de l’éblouissant danseur David Toole dont j’ai suivi depuis la carrière avec intérêt et admiration. Je mesure aujourd’hui l’impact de cette œuvre qui m’a permis d’envisager le handicap non comme un frein ou une impasse, mais comme vecteur de créativité.  En s’ajoutant à ma « banque » de références, elle y a instauré une sorte d’étalon en matière d’inclusion.

L’hétérogène comme référence

Cette œuvre s’inscrit parmi d’autres modèles de diversité assumée rencontrés durant mon adolescence à Paris. J’avais notamment vu des pièces de Pina Bausch et de Dominique Bagouet qui mettaient déjà de l’avant l’hétérogénéité de leurs interprètes.  Les spectacles de Philippe Decouflé accueillaient des morphologies disparates tel que le géant et génial Christophe Salengro. Les ballets C. de la B. affichaient une distribution résolument éclectique où enfants, danseurs et marginaux se côtoyaient dans des chorégraphies extrêmement physiques. Enfin, José Montalvo et Dominique Hervieu créaient une recette chorégraphique à partir d’une macédoine de danseurs issus de différentes pratiques : du ballet à la danse urbaine, en passant par les danses traditionnelles africaines et le contemporain (Paradis, 1997). Malgré un caractère parfois démagogique, cette effervescence des années 1990 a contribué à élargir ma conception de la danse, voire même à « normaliser » l’hétérogène.

Déstandardiser le corps dansant

Je me souviens également avoir été impressionnée par la performance du danseur aveugle Saïd Gharbi dans Her body doesn’t fit her soul de Wim Vandekeybus en 1993, dérangée par la présence d’une femme âgée dans Bound To Please de DV8 Physical Theater en 1997 et intriguée par celles incongrues d’un bébé et d’une chaise roulante dans Iets of Bach d’Alain Platel en 1998.

 

La mise en scène de ces corps non-standards m’a sensibilisée à leurs singularités. D’où mon interrogation, voire mon malaise, face à la prédominance de spectacles présentant un modèle de corps juvénile et glorieux. À l’opposé, la présence de corps "non formatés" a étendu le champ de mon imaginaire.