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BILLET #6 - 24.04.17

Maison de la culture Mont-Royal, Montréal

« Souvent, je pense à la fin du monde… »

Aujourd’hui, 24 avril, je suis retournée en studio pour constater que la recherche et le matériel chorégraphique produit avaient énormément avancé.

Au sol, Joannie Douville, Maxime D. Pomerleau et Roya Hosini effectuent un enchaînement de gestes millimétrés au cordeau. Identiques. Dans un parfait unisson, chacune avec sa spécificité. Différentes mais siamoises. Chacune leur tour, puis toutes ensemble, d’un côté puis de l’autre de la scène de la Maison de la culture du Plateau. C’est alors que Sarah-Ève se lève et va se poster devant un micro en pied à l’extrême gauche de la scène. Elle dit, de sa voix posée : « Je les regarde toutes et je ne sais pas laquelle regarder », puis « Si je devais en sauver une, je me demande laquelle je sauverais, je ne suis pas capable de répondre ». La citation de Giacometti. Elle l’a exprimée, là, à voix haute, au moment-même où j’y pensais dans mon for intérieur. J’en frémis.

La fin du monde, alors, pourquoi ? « C’est venu de Joannie. » me dit-elle. Alors qu’elle voyageait récemment dans le même avion que Maxime, elles ont appris qu’en cas de problème, les personnes handicapées ou à mobilité réduite doivent attendre que tous les autres aient été secourus pour qu’on vienne les aider. « Pendant tout le voyage, j’ai imaginé ce que je pourrais faire pour sauver Maxime si un accident survenait » À la fameuse consigne « les femmes et les enfants d’abord », il faudrait donc ajouter : « …et les handicapés en dernier ». Sarah reprend : « Depuis que j’ai eu ma fille, je pense plus à la fin du monde qu’on nous prédit tout le temps. Je pense qu’elle pourrait connaître cette fin du monde, et alors, que faire, comment l’élever pour qu’elle puisse y faire face ? J’avoue que ça me préoccupe. » Par-delà nos enfants, la vie d’un humain dépend toujours de celle d’un autre humain. Les humains ne sont pas faits pour être autonomes. Ils sont faits pour être réciproques. Et non handicapés du cœur.

Assise sur une des petites chaises, je vois la danse, sauvage, hip hop, break your leg, break your leg, un rythme puissant et pulsif pour une parodie guerrière. Roya, Maxime et Joannie, à tour de rôle, se déchaînent et se démènent, en b-girls hyper douées et étonnantes, en guerrières, le sourcil froncé, le regard dur, la moue combative et séductrice, wonder-women contre les abus du monde qui vont finir par le conduire à sa fin. Avec un infini humour. Elles jouent à être des combattantes et s’en donnent à cœur joie. Dédramatisation. On ne dit jamais assez combien les handicapés ont de l’autodérision, du recul, de l’humour caustique et décapant destiné à contrer la dureté de leur condition. Cette séquence dédramatise, elle donne envie de bouger et de sourire. En plus de démontrer, s’il le fallait, combien la complicité entre elles est magique.